Bâtisseurs de Possibles – entretiens avec les enseignant·es : Anne-Lore Greter-Traoré
Le dispositif Bâtisseurs de Possibles®, adaptation de Design for Change au contexte scolaire français, fédère aujourd’hui un réseau d’enseignant·es engagé·es, […]
11 07 2024
Bâtisseurs de Possibles – entretiens avec les enseignant·es : Anne-Lore Greter-Traoré

Le dispositif Bâtisseurs de Possibles®, adaptation de Design for Change au contexte scolaire français, fédère aujourd’hui un réseau d’enseignant·es engagé·es, des ressources et outils pédagogiques et un accompagnement (formations, suivi, etc.). 

Tandis que les inscriptions au programme sont rouvertes pour l’année scolaire 2024-2025, des enseignant·es engagé·es dans l’aventure Bâtisseurs de Possibles ont accepté de revenir sur leur(s) expérience(s) de cette méthode pédagogique.

Anne-Lore Greter-Traoré est enseignante en CM1 au lycée français Jean Mermoz, à Dakar (Sénégal). Convaincue des bienfaits de l’apprentissage par projets, c’est tout naturellement qu’Anne-Lore s’est emparée avec sa classe de la méthode Bâtisseurs de Possibles et de ses 4 étapes : identifier un problème, imaginer une solution, réaliser et partager l’expérience. Trois ans après sa découverte du programme, elle a déjà plus de six projets à son actif ! Elle nous partage ici son expérience qui ne manquera pas d’en inspirer plus d’un·e.

Bonjour Anne-Lore Greter-Traoré, merci d’avoir accepté cet entretien – en visio pour couvrir la distance entre Paris et Dakar. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Anne-Lore Greter Traoré, je suis enseignante à Dakar, au lycée français Jean Mermoz qui est dans le réseau AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger). 

J’ai eu mon concours en 2000 et je suis sur le terrain depuis. Je suis Alsacienne de naissance. J’ai enseigné le Français Langue Étrangère (FLE) en Allemagne, j’ai enseigné dans les Vosges, en Alsace, dans l’Est de la France, et j’y ai fait tous les niveaux – de la petite section aux classes SEGPA – dans les zones d’éducation prioritaire, dans des structures différentes, avec tout type de public. C’était très, très chouette, j’ai adoré, c’était très formateur de percevoir toute cette diversité pédagogique !

Ensuite, mon mari étant Sénégalais, nous avions pour projet de nous installer au Sénégal. J’ai eu l’opportunité en 2010 d’entrer au lycée Jean Mermoz de Dakar et j’y enseigne depuis.

Pouvez-vous m’en dire plus sur votre classe et l’établissement dans lequel vous enseignez ?

J’ai une classe de CM1. Nous sommes dans un super établissement qui répond à nos demandes pour adapter nos classes en nous permettant d’innover dans l’agencement de l’espace et du mobilier. Par exemple, nous sommes ici dans une classe semi-flexible [elle montre la pièce derrière elle, sa salle de classe, divisée en plusieurs îlots]. Je vais aussi avoir du nouveau mobilier : à la place des tables et chaises que vous voyez derrière moi, il y aura d’autres types de mobilier comme des coussins, des ballons. 

On est dans une démarche dans laquelle l’élève avance à son rythme dans les apprentissages. La classe est rythmée différemment : des semaines entières sont banalisées pour certaines matières et thématiques. Cette semaine, nous sommes en semaine de sciences.

Bâtisseurs de Possibles - classe d'Anne-Lore Greter-Traoré
Votre établissement est labellisé “E3D”. Qu’est-ce que cela veut dire et qu’est-ce que cela implique ?

Un établissement E3D est un établissement « en démarche de développement durable (E3D) qui associe l’ensemble de la communauté éducative, en relation étroite avec les collectivités territoriales, dans une dynamique collective induite par le projet d’école ou d’établissement. »

En tant qu’établissement aussi important – avec notamment 700 élèves en primaire ! – nous avons un impact et une responsabilité. Nous sommes quelques enseignant·es volontaires – des référent·es E3D – qui nous occupons de mutualiser les actions qui sont développées dans les classes autour de la thématique du développement durable.

Nous avons des instances : sur la santé, sur la citoyenneté et sur le développement durable. Dans chaque instance, nous incluons des parents d’élèves, des membres de l’administration de l’établissement ainsi que des élèves – lycéen·nes et collégien·nes – « éco-délégué·es ». 

En ce moment, nous travaillons sur le tri des déchets et, plus en amont, la réduction des déchets. Nous avons de nombreux projets au sein de l’établissement. Cette dynamique entre en résonance avec le programme Bâtisseurs de Possibles qui se base sur l’identification de défis liés aux Objectifs de développement durable définis par les Nations Unies.

Depuis combien de temps menez-vous des projets Bâtisseurs de Possibles avec vos élèves ?

Il y a 3 ans, une collègue animait sa classe en s’inspirant de la méthode Bâtisseurs. La classe menait des projets par pôles : le pôle artistique, le pôle solidarité, etc. Et j’ai vu de très beaux projets naître de cette classe. Je lui ai donc demandé sur quoi elle se basait et on a commencé à échanger sur l’approche Bâtisseurs de Possibles.

Ça fait 2 ans que je mène des projets Bâtisseurs de Possibles dans ma classe, avec quelques-un·es de mes collègues de l’école. L’année dernière, ma classe de CM1 et une autre classe de CM2 ont identifié des problématiques communes.

En échangeant, nous – les enseignant·es – nous sommes rendu·es compte que les élèves n’avaient pas besoin de choisir un seul axe pour trouver des solutions. Nous avons donc réorganisé les groupes-classes et iels ont gardé les thématiques qu’iels avaient envie de travailler. Nous nous sommes simplement répartis les groupes – 2 thématiques chacune – sur un temps commun dédié aux projets Bâtisseurs.

Bâtisseurs de Possibles - étape 1 de la méthode avec la liste par les élèves d'Anne-Lore Greter-Traoré des problématiques qui les touchent : harcèlement, racisme, guerre, pauvreté, violence, manipulation, pollution, sexisme

Dans les problématiques identifiées durant l’étape Boule de Neige – un exercice permettant aux élèves de voter pour les problématiques qui les touchent le plus -, il y avait : l’égalité fille-garçon, le gaspillage alimentaire à la cantine, la pauvreté des enfants des rues, et la maltraitance animale.

Vous êtes un grand établissement et beaucoup de projets semblent être menés de front. Comment échangez-vous entre enseignant·es et entre classes ?

En fin d’année dernière, le 4 juillet 2023, Philippa-Jane Blein – Responsable du programme Bâtisseurs de Possibles au Learning Planet Institute – a organisé une rencontre en ligne entre des classes volontaires ayant mené un ou plusieurs projets sur l’année. Ça a été l’occasion pour moi de proposer à mes collègues de venir assister à la présentation et de montrer différents projets, dans d’autres établissements, sur d’autres niveaux.

Philippa-Jane nous a également proposé une séance de formation, ouverte à tou·tes les collègues, afin d’expliquer les étapes de la méthode et montrer ce que ça représente.

Mais je vois bien que le meilleur exemple, c’est de montrer, de voir les effets sur la classe, comment les élèves s’épanouissent. L’année dernière, nous étions 3 classes à utiliser la méthode Bâtisseurs, cette année nous sommes 9 classes : 3 en CP, 1 en CE2, 1 en CM1 et 4 en CM2. C’est beau cette émulation, les graines sont semées !

Pour le moment, les classes engagées sont toutes des classes de primaire. Mais je sais qu’il existe une adaptation des étapes de la méthode pour mener des projets avec des adolescent·es – j’en ai donc parlé aux CPE. Cela ferait une belle continuité à travers les cycles.

En quoi les projets Bâtisseurs sont-ils différents d’autres projets que vous avez eu l’opportunité de mener en classe ?

Les projets Bâtisseurs ne sont pas menés par l’enseignant·e mais par la classe. Ils se construisent petit à petit, avec et par les élèves. C’est ça qui change vraiment. J’adore mener des projets, et nous avons énormément d’opportunités pour monter des projets avec le réseau de l’AEFE – mais je garde toujours de la place pour Bâtisseurs.

Il y a un lâcher prise. Nous, enseignant·e, on ne sait pas quel ODD – Objectifs de développement durable définis par les Nations Unies – va être choisi, on ne sait pas forcément quelles problématiques touchent le plus les enfants, en quoi iels aimeraient changer le monde. Et chaque année, on a un nouveau groupe-classe, et chaque année on va dans une nouvelle direction.

Ce lâcher prise de l’enseignant·e vis-à-vis de la classe : est-ce simple à envisager ? Quel rythme cela impose-t-il ?

Au départ, lors du premier projet, c’était pas facile de se lancer car j’avais l’habitude de diriger la classe ! Au fur et à mesure des projets, cela devient de plus en plus simple. Quand on laisse les enfants mener leurs réflexions, créer, iels ont des idées, inventent des prototypes auxquels on n’aurait même pas pensé !

Par exemple, cette année, mes élèves ont choisi de travailler sur le harcèlement scolaire. La première phase de définition de la problématique a pris plus de temps car la notion de harcèlement n’était pas claire pour tout·es. Nous avons donc fait intervenir des médiateurs·rices du secondaire qui sont venu·es clarifier les notions. Les élèves ont compris qu’on ne parlait pas d’une embrouille ponctuelle, mais bien d’un phénomène dans le temps, répété, qui porte ses conséquences, que c’est quelque chose de profond. Maintenant, iels utilisent le terme à bon escient. Ce que j’apprécie encore ici, c’est que j’aie pu faire intervenir des personnes de l’extérieur, les explications ne sont pas venues que de moi. 

Et oui : le sujet est « costaud », il est lourd. Nous avons un peu tourné en rond, tâtonné, pris des pincettes. Mais voilà, c’est cette démarche-là qui est importante et pas le résultat. C’est la manière de réfléchir, de s’engouffrer dans une impasse, s’en rendre compte, et de revenir pour trouver une nouvelle solution. Ca prend du temps, mais c’est le temps du groupe et c’est un bel apprentissage à la fois de réflexion, d’écoute et de discussion.

Les élèves réinvestissent ainsi les choses que l’on a faites en classe. Par exemple, les enseignant·es de l’école ont été formé·es à la communication relationnelle. Nous avons ensuite construit une séquence et mené des ateliers spécifiques en classe. Cela leur a beaucoup servi dans la compréhension et la gestion du surplus d’émotions. Et iels s’en sont ré-emparé avec leurs propres perceptions dans le projet Bâtisseurs, en créant leurs propres outils.

Et encore une fois : ce rythme change selon chaque groupe. L’année dernière, nous avons mené 5 projets Bâtisseurs de bout en bout. Cette année, nous sommes en juin, et on « rame ». Les élèves viennent à peine de trouver la solution qu’iels souhaitent développer – une exposition de sensibilisation et une enquête pour évaluer le bien-être des élèves dans les classes. Dans un mois, ce sont les grandes vacances ; on verra bien !

Bâtisseurs de Possibles - solutions réalisables imaginées par les élèves de la classe d'Anne-Lore Greter-Traoré

[ndlr : depuis cette interview, la classe d’Anne-Lore a pu présenter son projet à d’autres classes du réseau Bâtisseurs – en savoir plus dans cet article]

Bâtisseurs de Possibles - classe d'Anne-Lore Greter-Traoré - élaboration de la solution "barre montante"
Les classes et projets communiquent-ils entre eux ?

L’année dernière, nous avions d’emblée mélangé 2 classes, dès l’identification des problématiques. Cette année, chaque enseignant·e a mené les projets Bâtisseurs avec sa classe. Ce n’est pas pour autant que la dynamique est moins importante, bien au contraire ! Il y a un vrai lien entre les élèves – à travers les classes – qui sont engagé·es dans cette démarche Bâtisseurs.

L’un·e d’entre eux·elles a compris qu’un des projets avait besoin de bouteilles plastiques, et nous nous sommes tou·tes mis à mettre des bouteilles plastiques de côté. La même chose avec des déchets non biodégradables… D’autres sont venu·es nous demander de l’aide pour le nettoyage de la cour. Même à travers la rencontre en ligne Bâtisseurs de Possibles en juin 2023 : mes élèves ont vu et entendu d’autres élèves qui ont vécu une expérience similaire, qui ont eu d’autres idées auxquelles iels n’avaient pas pensé et ça les a marqué·es !

Ce sont plein de liens qui se mettent en place au niveau des enfants, mais aussi au niveau des enseignant·es ! On se trouve parfois dans une impasse et on ne sait plus comment débloquer le groupe. Parler et communiquer permet de faire avancer la réflexion et de se sentir épaulé·es, entendu·es et accompagné·es. Nous, on a la chance de le faire entre enseignant·es mais on sent que c’est là aussi au niveau du Learning Planet Institute. L’équipe pédagogique de Bâtisseurs de Possibles nous soutient, est à l’écoute et peut nous mettre en lien avec d’autres projets sur les mêmes thématiques par exemple.

On n’est pas seul·es. Cette année, nous avons pu échanger avec d’autres classes qui avaient travaillé sur la problématique du harcèlement et qui nous ont proposé de tester nos prototypes réalisés. Il y a des types de réunions qui nous « plombent », qui sont parfois infructueuses, après lesquelles on voit toute l’ampleur des tâches qu’il reste à mener… Après des rencontres Bâtisseurs, ce n’est pas ça, c’est l’inverse : on se sent léger, on a le cœur rempli de plein de belles choses venues du monde entier, et c’est très précieux.

Est-ce que c’est difficile de mener un projet Bâtisseurs ?

La difficulté est plus « administrativo-logistique » que dans la classe à mon avis. Ne sachant pas ce que les élèves vont choisir comme thématique, ni comme solutions à implémenter, il est difficile d’anticiper un budget pour l’année à venir. Cette année nous avons fait le choix avec l’équipe de monter un projet pédagogique commun aux classes participantes Bâtisseurs de Possibles pour 2024/2025, avec une enveloppe budgétaire qui nous permettra de piocher si c’est nécessaire.

Dans notre cas – un lycée français à l’étranger – il y a aussi la difficulté de deux systèmes qui cohabitent et qui ne se comprennent pas toujours. C’est surtout ces soucis de compréhension qui peuvent être chronophage pour l’enseignant·e au moment de la mise en pratique des solutions qui peut être semée d’embûches. Mais, toujours dans notre propre cas au lycée Jean Mermoz de Dakar, on sait que l’on peut demander des choses. On ne les aura pas forcément d’une année à l’autre, selon le projet, mais on nous écoute. Le soutien de la direction, c’est toujours un énorme plus quand on mène des projets en classe.

Mais à la fin, tous ces efforts, ça vaut toujours le coût quand on voit l’enthousiasme des enfants. Si vous hésitez, je ne peux que vous conseiller de vous lancer dans cette belle démarche !

Lâcher prise, c’est une belle aventure !


LANCEZ-VOUS DANS UN PROJET BÂTISSEURS DE POSSIBLES AVEC VOTRE CLASSE

Vous aussi vous souhaitez monter des projets à impact dans votre classe ? Vos élèves se posent beaucoup de questions : comment pourrait-on mieux travailler dans notre salle de classe ? Pourquoi des gens habitent-ils dans la rue ? Vous souhaitez permettre à vos élèves d’agir sur le monde qui les entoure ?
👉 Rejoignez le programme Bâtisseurs de Possibles pour l’année scolaire 2024- 2025 !

Le dispositif Bâtisseurs de Possibles®, adaptation de Design for Change au contexte scolaire français, fédère aujourd’hui un réseau d’enseignant·es engagé·es, des ressources et outils pédagogiques et un accompagnement (formations, suivi, etc.).

Que vous ayez envie de découvrir petit à petit la démarche ou de vous lancer directement dans un projet avec vos élèves, le réseau Bâtisseurs de Possibles vous accompagne !

Au-delà des bienfaits sur les compétences des élèves comme la coopération, l’empathie, la prise de parole, la créativité, le fait de rendre les élèves acteurs·rices permet de réduire l’éco-anxiété.

Découvrez d’autres témoignages :

🔹 Béatrice Poignonec – classe de CE2
🔹 Ramona Coupel-Dulgheru – classes de CP et de CM2
🔹 Rencontre virtuelle entre classes participantes 2024


Cette publication s’inscrit dans le cadre de la Chaire UNESCO « Sciences de l’apprendre », établie entre l’UNESCO et Université Paris Cité, en partenariat avec le Learning Planet Institute. Les idées et opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne représentent pas nécessairement les vues de l’UNESCO et n’engagent en rien l’Organisation.


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